prêtre et les laïcs célèbrent de concert
Depuis 20 ans, la messe du dimanche soir de cette paroisse est l’affaire d’une équipe qui la pense et la prépare. L’expérience d’un investissement et d’une fraternité forte entre les laïcs et le prêtre.
Tous les dimanches soir, à l’église Saint-Maurice, bel édifice situé dans le centre historique de Lille, la messe est le fruit d’une préparation collective où le prêtre est l’un des acteurs. « C’est un homme, une voix, résume Anne, expert-comptable de 58 ans, membre de l’équipe missionnée pour Saint-Maurice. Nous avons chacun notre expertise. »
Mais qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas d’un modèle totalement égalitaire. « S’il le faut, c’est bien le prêtre qui tranche à la fin, explique Emmanuel, 45 ans, cadre dans un service technique municipal, responsable dans l’équipe de l’animation des échanges avec un point de vigilance : « Je fais en sorte que le prêtre ne prenne pas la parole en premier, car cela peut tuer le débat. »
Peuple en mouvement, marchons vers l’autel
L’histoire débute en 2000, à la suite d’un synode diocésain dédié aux jeunes, lesquels avaient notamment demandé de disposer en ville d’un lieu fort de vie spirituelle. « Saint-Maurice était un lieu possible, raconte Raphaël Buyse, prêtre qui coordonnait le synode et la pastorale des jeunes. J’ai embarqué des jeunes et on a créé. On a supprimé les cinq messes pour tout concentrer sur une seule, le dimanche soir. » Le mot d’ordre de Gérard Defois, alors évêque de Lille, était clair et immense à la
fois : « Inventez. N’imitez pas. »
La Fraternité diocésaine des parvis est née ainsi, diffusant par la suite de nombreuses propositions dans divers lieux de la métropole lilloise. Si aujourd’hui le projet n’est plus animé par la jeune génération, des intuitions initiales demeurent, la plus spectaculaire étant l’organisation des deux grandes parties de l’office. « D’abord, on se rassemble autour de la parole de Dieu, que l’on croise avec notre parole, la vie de tous les jours, explique Raphaël Buyse. Puis on se lève pour se diriger ensemble
vers la table eucharistique. »
« Peuple en mouvement, marchons vers l’autel », a coutume de lancer à ce moment-là son successeur, Benoist de Sinety, prêtre arrivé en septembre 2021, et qui vient de publier « Nos sept péchés capitaux » (Flammarion). Le visiteur ne manquera pas d’être surpris par la disposition de cette grande nef, avec deux carrés de chaises situés autour de l’ambon et autour de l’autel.
Des laïcs, moteurs dans la liturgie
La messe lilloise, qui n’est pas la seule en France à proposer un déplacement à ses fidèles, possède d’autres marques de fabrique. Entre 20 et 30 fidèles en sont acteurs, responsables de l’accueil, des chants, de la musique, de la prière universelle, des feuilles de messe, de la communion… Chacun s’inscrit sur un outil numérique pour le dimanche suivant. L’équipe missionnée, qui ne souhaite
surtout pas tout faire, multiplie les appels et mobilise l’ensemble de la communauté. Loin des paroisses dans lesquelles le curé seul sollicite qui il désire.
La célébration réunit quelque 300 personnes, venues de toute la métropole. Certaines fréquentent ordinairement d’autres lieux et viennent occasionnellement changer d’air à Saint-Maurice. Au début de chaque office, on demande qui vient pour la première fois. « Réunis tous autour de l’ambon, on se fait face, on s’échange des regards, des nouvelles. On va aussi vers ceux qu’on ne connaît pas. Certains recherchent cette fraternité », témoigne Anne. Une fois la messe terminée, l’apéritif ou la soupe, selon la saison, permet de prolonger ce moment agréable.
Il se peut aussi qu’au cours d’une homélie on reçoit ce que le groupe appelle une « résonance ». « Dans nos soirées hebdomadaires, après le repas, nous échangeons sur l’Évangile du dimanche suivant, grâce au travail préparatoire de l’un d’entre nous. Parfois, celui-ci peut exprimer son propre regard après l’homélie du prêtre, raconte Bernadette, enseignante, une des responsables de l’équipe
missionnée. Un témoignage autre, comme celui d’un jeune de retour de Taizé, peut aussi figurer lors de ce moment. « Pendant le carême, des personnes sans-domicile fixe ont exprimé ce qu’elles vivent dans notre église », ajoute Bernadette.
Donner du sens à chaque geste liturgique
Dans l’équipe, le questionnement est permanent et la rengaine « on a toujours fait ainsi » n’a pas sa place. « Nous veillons à donner du sens à chaque geste liturgique », résume Emmanuel. Si le Covid-19 interdit de poser sa main sur l’épaule de son voisin comme à l’accoutumée à l’heure du Notre Père, que peut-on faire et pourquoi ? Le « ministre » de la communion doit-il prend le corps du Christ avant ou après avoir servi ses frères ? Les portes de l’église doivent-elles rester ouvertes en permanence en
hiver ? Ce qui fait dire à Bernadette, qui terminera bientôt son mandat, qu’elle a trouvé à SaintMaurice « un lieu d’Église dans lequel on n’est pas bridé, on peut inventer, donner selon nos personnalités, nos inspirations, nos cultures. Chacun amène ce qu’il est ».
Une telle aventure n’est pas sans exigence. L’idée de vivre une soirée hebdomadaire ensemble a même inquiété Benoist de Sinety quand le diocèse l’a sollicité. « Lors du week-end de rentrée, nous avons passé 36 heures, à partager, à prier, à manger. Ce fut un moment décisif, un basculement dans ma découverte de cette réalité humaine. Ces liens fraternels sont la condition d’un bon fonctionnement. »
Une vision partagée par tous les membres de l’équipe. Flora, aide-soignante, a hésité à répondre à cette mission qu’elle devinait exigeante. « Les réunions fréquentes permettent de nous découvrir. On a chacun nos caractères et on peut avoir des désaccords. Mais on forme une vraie fraternité, avec un soutien mutuel. » « Nos relations sont plus simples, plus directes, ajoute Emmanuel. Et nous ne sommes pas seulement dans le “faire”. »
Les gages d’une réussite : investissement et dialogue
La méthode, éprouvée au fil du temps, fonctionne bien eu égard à l’investissement de tous. « Nous sommes d’accord sur l’essentiel. Je n’ai pas le sentiment de vivre dans la rivalité et le jeu de pouvoir. Personne n’est là pour se faire valoir ou imposer sa vision des choses », souligne Benoist de Sinety, « épaté par le sens du service des membres de l’équipe “missionnée” ». Le choix du prêtre ne saurait être anodin dans ce dispositif si particulier. Et l’archevêque de Lille a eu du mal à trouver l’oiseau rare. « Mgr Ullrich a échangé avec nous, précise Emmanuel, ce qui n’est pas courant dans les nominations diocésaines. » « À Saint-Maurice, observe Benoist de Sinety, ce n’est pas le prêtre qui est seul capable de dire ce qu’il faut, d’être le garant et le juge du bien de la communauté. L’eucharistie est portée par la communauté, célébrée par l’ensemble du peuple de Dieu, et présidée par le prêtre. »
Une théologie simplement fidèle à Vatican II. « Nous ne sommes pas allés au bout du processus d’évolution liturgique du Concile et, souvent, nos liturgies ne sont pas assez synodales. Or, elles traduisent toujours notre manière de croire. » L’héritier de l’aventure, qui a succédé aux pères Raphaël Buyse et Xavier Behaegel, rend hommage à « une forme de sagesse chrétienne dans la
communauté. Rien n’est fixé, on y est attentif aux signes des temps. Saint-Maurice est un lieu exemplaire ».
Par Philippe Clanché